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Où en est l’artisanat du bâtiment mosellan à un mois de l’été ?

L’activité de l’artisanat du bâtiment ralentit depuis le début d’année. Aux difficultés subies depuis des mois par les professionnels de la branche s’ajoute une conséquence directe : les entreprises sont enclines à moins chercher de personnel, les intentions d’embauche stagnant. Lassitude des employeurs face à des postes qui ne sont jamais pourvus ou prudence face au contexte économique dégradé ? Sans doute les deux. La note de conjoncture trimestrielle de la Capeb ne laisse aucune équivoque : ce n’est pas l’apocalypse, mais on ne peut verser dans l’optimisme. L’analyse nationale rejoint celle du département : nous ne sommes pas au bout d’un tunnel qui commence à être sacrément long pour les acteurs de notre économie de proximité qui plient mais ne rompent pas.

En un an, le cumul de logements commencés en Moselle montre une stabilité.
En un an, le cumul de logements commencés en Moselle montre une stabilité.

Fin janvier, La Gazette Moselle faisait le point avec Émilien Gangemi, le président de la Capeb 57, lui-même chef d’entreprise dans le secteur, sur la conjoncture de l’artisanat mosellan du bâtiment, dans un contexte socio-économique hexagonal et une situation géopolitique mondiale - avec le conflit en Ukraine - qui, invariablement, avaient des répercussions sur l’activité de nombreuses TPE et PME de cette économie locale et de proximité qui fait la force économique et l’attractivité de nos territoires, générant un important contingent d’emplois. Émilien Gangemi nous déclarait, au cœur de l’hiver : «Au dernier trimestre 2022, la croissance de l’activité de l’artisanat du bâtiment était toujours positive. Mais, nous sommes à un point de bascule. Beaucoup d’artisans nous répercutent leurs inquiétudes et nous alertent sur un ralentissement observé. Il faudra voir en mai les conséquences réelles des premiers mois de l’année. Tout le monde est un peu dans le flou actuellement.»

Les hausses de matériaux répercutés sur les prix à la clientèle

Mai, nous y voilà. Le brouillard des incertitudes s’est levé. La note de conjoncture de la Capeb nationale est un dur retour à la réalité. Son accroche synthétique est limpide est sans ambages : «Comme le laissait présager l'année 2022, la croissance de l'activité de l'artisanat du bâtiment enregistre de nouveau un ralentissement pour le premier trimestre 2023. Les chiffres le confirment, trimestre après trimestre, la perte de vitesse qui s'est amorcée se poursuit dans la durée. En janvier dernier, nous demandions au gouvernement de réagir en prenant des décisions fortes et ambitieuses pour mettre un terme à ce déclin. Décisions qui ne sont jamais venues.» La hausse continuelle du prix et les pénuries des matériaux, celle des carburants et l’inflation haussière impactent le tissu entrepreneurial local. Logique : dans une période où les marges se contractent, ce que subit le particulier qui revoit ses prévisions de travaux, de construction, de rénovation, l’entreprise le subit également. Il est bon de le rappeler : les matériaux pèsent 30 % des dépenses courantes d’une entreprise artisanale du bâtiment. Avec cette conséquence directe : 9 entreprises sur 10 répercutent cette hausse à leurs clients.

L'activité des corps de métiers en retrait

Le mouvement de ralentissement de l’activité déjà amorcé en 2022 se confirme donc en 2023, et ce pour tous les segments d’activité. L’activité en entretien-amélioration maintient cependant une progression positive ce trimestre (+ 0,5 %) grâce au toujours dynamique segment des travaux d’amélioration de la performance énergétique des logements (+ 2,0 %). Le constat est différent pour la construction neuve, qui, moins dynamique que l’entretien-amélioration depuis la reprise post-Covid, voit son activité en volume stagner ce trimestre par rapport au premier trimestre 2022. Les carnets de commandes, qui avaient jusque-là conservé des niveaux élevés, ont enregistré une baisse substantielle et représentent désormais 87 jours de travail à venir à début avril 2023, soit 9 jours de moins qu’au trimestre précédent, un niveau au plus bas depuis janvier 2021. Même perte de dynamique pour le Grand Est. Ce constat est identique dans l’entretien-amélioration et le neuf, et ce dans l’intégralité des régions à l’exception de la Bretagne. Au premier trimestre 2023, le paysage régional est contrasté. Certaines régions enregistrent de bonnes performances, comme la Bretagne ou la Nouvelle-Aquitaine, tandis que, dans d’autres, le volume d’activité recule pour la première fois depuis la crise sanitaire (Normandie, Centre Val-de-Loire, Hauts-de-France) en aménagement décoration plâtrerie se redresse en glissement annuel par rapport au trimestre précédent, et les entreprises de couverture plomberie chauffage témoignent d’un ralentissement modéré (0,5 point) et d’une croissance meilleure que la moyenne. En parallèle, les entreprises d’électricité voient leur rythme de croissance diminuer sensiblement (-1,5 point) et enregistrent ce trimestre un taux de croissance négatif. Les autres corps de métiers sont en perte de vitesse : menuiserie et serrurerie, aménagement décoration plâtrerie, maçonnerie et couverture plomberie chauffage.

Les marges en baisse

Côté offre, les tensions sur les prix des matériaux sont dans l’ensemble moins prégnantes qu’en début 2022, bien que certains matériaux intensifs en énergie soient toujours concernés par des hausses au premier trimestre 2023. Malgré ces rééquilibrages sur le plan des matériaux, les conditions d’exercice des entreprises artisanales sont toujours contraintes par des coûts bien plus élevés qu’avant le début du conflit ukrainien (hausse du SMIC, coût de l’énergie). L’index BT 01 a augmenté de 6 % en un an, à février 2023, et le solde d’opinion sur l’évolution des marges demeure négatif pour le 7e trimestre consécutif. Sur le plan de la main-d’œuvre, l’augmentation du nombre de salariés est modérée (+ 3 600 salariés en glissement annuel au 4e trimestre 2022) et les intentions d’embauches sont en ralentissement depuis le premier semestre 2022. Côté demande, les ventes de logements anciens et les autorisations de logements neufs cumulées sur 12 mois continuent leur diminution. Dans un contexte de durcissement de l’accès au financement, où la remontée des taux est combinée à des critères d’octroi plus sévères, les montants de crédits accordés destinés à l’acquisition de logements anciens baissent de près de 6 % au 4e trimestre 2022. De plus, l’inflation comprime le pouvoir d’achat des ménages, ce qui impactera mécaniquement leur demande de travaux dans les mois à venir. En Grand Est, le nombre de permis de construire cumulés sur une période d’un an, de mars 2022 à février 2023, a reculé de 0 à -10 % quant à la même période un an auparavant (mars 2021 à mars 2022). Fin février 2023, le cumul sur un an des permis de construire était de 33 500. Sur le volet Grand Est des logements mis en chantier, toujours fin février 2023, leur nombre s’établissait à 26 400 (une hausse de 0 à 10 % par rapport à la même période un an auparavant). En Moselle, en mars 2023, le cumul sur un an de logements autorisés était de 6 900 : c’est un net repli par rapport aux mêmes périodes en 2022 et 2021 (8 800 et 8 800) soit un baisse de 21,59 %. Toujours en mars 2023, le cumul sur un an de logements commencés était de 5 300. Une donnée identique à celle de 2022, et en augmentation de + 12,77 % par rapport à 2021. Ainsi, le ralentissement engagé depuis plusieurs trimestres se confirme, et les entreprises artisanales du bâtiment semblent anticiper que celui-ci se poursuivra. Leur solde d’opinion sur l’évolution de leur activité dans les 6 prochains mois est ainsi négatif, mais moins qu’au trimestre précédent (- 9 points). Si on s’arrête sur les trésoreries, lors de ce 1er trimestre 2023, 20 % des entreprises font état de besoins de trésorerie (contre 15 % au même trimestre en 2022). Parmi ces entreprises, 61 % déclarent un besoin supérieur à 10 000 €. Le montant moyen des besoins de trésorerie s’établit à 21 000 € (contre 21 000 € un an auparavant).

Les ambitions de recrutement en pointillés

Sur le volet socio-économique, le 4e trimestre 2022 avait vu l’emploi dans les entreprises du bâtiment de moins de 20 salariés se ralentir (+ 3 642 emplois sur un an, soit + 0,5 %). L’intérim était en recul (- 3,2 %, soit un poids de 8 % du taux global de recours à l’intérim). On le sait, l’artisanat du bâtiment cumule les métiers en tension. Les offres d’embauche sont là, moins le personnel pour le pourvoir. Une certaine lassitude des employeurs face à cette pénurie se fait jour : les entreprises sont moins nombreuses à chercher à embaucher (26 % au seconde semestre 2022 contre 31 % au même semestre 2021). Les intentions d’embauche ont diminué pour le 1er trimestre 2023 : 13 % des entreprises envisagent de recruter au premier semestre 2023 (contre 16 % au second semestre 2022 et 19 % au premier semestre 2022), la prudence est de mise face à une situation dégradée. Une majorité d’entreprises prévoit un maintien de l’emploi à son niveau actuel au premier semestre 2023 (85%), bien que les licenciements progressent légèrement (passant de 1 à 2 %). Le président de la Capeb 57, Émilien Gangemi, sur ces difficultés de recrutement, nous avait fait une réponse lucide et sans langue de bois : «Nos métiers ne sont pas assez reconnus. On leur donne une image trop négative. Dans notre pays, c’est presque culturel. On a longtemps dénigré et mis de côté les métiers manuels. Vous connaissez beaucoup de jeunes qui actuellement veulent travailler dans le bâtiment. Demandez aux familles. Pour beaucoup, c’est sans doute trop dur, demande des efforts. Il faut travailler. Ce n’est peut-être pas tendance aujourd’hui...» Certain que sur le sujet, il faudrait une révolution des mentalités, un big bang sociétal... Sur le plan macroéconomique, l’économie européenne semble avoir mieux résisté que prévu, et les projections d’inflation pour 2023 ont été, en mars, revues légèrement à la baisse en raison du recul plus marqué qu’attendu des prix de l’énergie. Malgré des indicateurs à l’orange et un risque de contraction toujours existant sur le reste de l’année 2023, une amélioration du contexte global n’est pas à écarter ce qui permettrait aux entreprises artisanales d’éviter un ralentissement d’ampleur importante. L’artisanat du bâtiment mosellan ne demande qu’une chose : pouvoir souffler un peu, cesser d’être en permanence à flux tendu et travailler dans la sérénité et une perspective positive à long terme. «Attendre et voir», pour franciser une célèbre expression anglo-saxonne.

40 %
C'est le taux d'entreprises de l'artisanat du bâtiment qui disent déclarer une baisse de leurs marges au premier trimestre 2023, selon la note conjoncturelle de la Capeb.