Territoires

Les Canalisateurs à la croisée des chemins

Le CESCOM de Metz a accueilli 170 entreprises et partenaires des réseaux d’eau dans le cadre de la 3e édition de l’événement national «Les Canalisateurs, acteurs pour la planète». Des débats constructifs sur le renouvellement des dits réseaux et des effectifs, entre état des lieux et prospectives.


«Les réseaux d'eau à l'épreuve des générations» : un enjeu à plusieurs entrées.
«Les réseaux d'eau à l'épreuve des générations» : un enjeu à plusieurs entrées.

Les Canalisateurs, organisation professionnelle membre de la Fédération nationale des Travaux Publics (FNTP), fédère au niveau hexagonal 330 entreprises, spécialisées dans la pose et la réhabilitation de canalisations d’eau potable, d’eaux usées, d’irrigation, de gaz et fluides divers, faisant des Canalisateurs le second syndicat de la FNTP. La délégation Lorraine rassemble 35 entreprises de toutes tailles de construction de réseaux d’eau, d’assainissement et de gaz, et des membres partenaires (fournisseurs). Il est aussi le 2e syndicat de spécialité de la Fédération des Travaux Publics (FTP) Lorraine. Un secteur omniprésent dans nos quotidiens, restant pourtant souvent méconnu, au cœur d’importants enjeux économiques et environnementaux et en quête de sa relève.

Valoriser les métiers

Les Canalisateurs viennent d’organiser la 3e édition de leur événement national «Les Canalisateurs, acteurs pour la planète», à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau du 22 mars. Thème cette année : «Les réseaux d’eau à l’épreuve des générations». Une Matinée de l’eau déclinée simultanément dans 18 régions de France par les délégations territoriales. À Metz, le CESCOM a accueilli 170 personnes, entreprises de canalisation, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, institutionnels, agences de l’eau, partenaire et des jeunes. L’accent était porté sur la valorisation des métiers pour susciter de nouvelles vocations : une thématique couvrant les enjeux de ressources humaines, de transmission des compétences au sein des entreprises, de pyramide des âges, d’attractivité des métiers… mais également sur l’investissement des infrastructures de réseaux, en particulier la notion de dette grise - le sous ou le non investissement d’aujourd’hui coûtera plus cher demain - et de réemploi des matériaux.

Perte de compétences humaines

Au-delà du déficit financier, traduit par un déficit d’investissement dans les réseaux d’eau et d’assainissement estimé à quelque 2 Mds€ par an, le métier de canalisateur, et plus largement les métiers des travaux publics, font face à un déficit d’attractivité amenant à un vieillissement de la pyramide des âges. En 2022, les 55 ans et plus représentaient près de 16 des effectifs (contre 12 % en 2010) et les moins de 30 ans environ 19 % (contre 22 % en 2010). En 2025, la part des plus de 55 ans dépassera celle des moins de 30 ans. La carence d’investissement dans les réseaux depuis de nombreuses années risque de s’accompagner d’une perte de compétences humaines. Selon le tableau de bord emploi-formation des Cellules économique régionales de la construction (CERC), le secteur a besoin de 1 100 canalisateurs tous les ans au niveau national pour renouveler les départs et compenser les créations/destructions de postes. Or, moins de 700 jeunes sont recensés en dernière année de formation initiale. En ajoutant les flux de formation continue, le nombre de personnes formées au total est insuffisant, pour faire face aux besoins du métier. À notre niveau régional, l’âge moyen des salariés est de 42 ans. L’indice tension est très élevé malgré un taux de turn-over des plus faibles dans les métiers des TP.

Rénover le patrimoine et sécuriser la ressource

Ce panorama de la profession des Canalisateurs et son avenir ont été au cœur des échanges de cette matinale messine. Dans leurs propos introductifs, Pierre Rampa, président des Canalisateurs, (en vidéo) et Sébastien Streiff, délégué régional Canalisateurs Lorraine, rappelaient les multiples enjeux actuels et à venir. Le second faisait ce constat : «L’année dernière, nous nous étions quittés sur une note optimiste, suite à la prise de conscience qui semblait se généraliser, et l’orientation de financements fléchée vers la nécessité de rénover le patrimoine et sécuriser la ressource. Aujourd’hui, globalement, le constat est à un certain attentisme partagée par l’Agence de l’eau qui déplore le manque de projets. L’année 2023 n’a pas été aussi stressante d’un point de vue hydrique que 2022, fort heureusement, mais cela ne favorise pas les initiatives. Cependant, certains syndicats et collectivités présents et qui se reconnaîtront ont été et restent très actifs, et nous ne pouvons que les féliciter d’œuvrer avec clairvoyance pour l’avenir du bassin de population sur lesquels ils opèrent (…) Les épreuves peuvent être des obstacles, elles lancent aussi des défis. Pour l’Homme, comme pour les matériaux, elles permettent une résilience, un rebond ou une résistance (…).»

Stéphane Streiff, délégué régional Canalisateurs Lorraine, ouvrant la matinale.

De beaux métiers...

Animées par Véronique Lorre, deux tables rondes ont suivi, entrecoupées par les interventions en vidéo d’Alain Grizaud, président national de la Fédération nationale des Travaux Publics, Ugo Lambert, gagnant de la compétition des métiers et Célia de Lavergne, directrice de l’eau et de la biodiversité. La première a réuni Olivier François, directeur du CFA BTP Moselle, Pascal Ribolzi, PDG de la société Berthold SA, Bruno Minutiello, président de la Communauté de communes du Territoire de Lunéville à Baccarat, et Mathéo Joder, élève en 1ère année à l’ESICT Metz, autour du thème : «L’avenir des Canalisateurs par la formation». Dans ses expériences du quotidien, chacun en convenait aisément : «ce sont de beaux métiers méconnus dont les premiers ambassadeurs sont ceux qui les pratiquent.» En évoquant le process propre à son entreprise - efforts faits sur le cadre de vie des alternants, 50 à 70 stagiaires accueillis par an -, Pascal Ribolzi avait ces quelques mots teintés de réalisme : «Pour fidéliser un collaborateur, on rame toute sa vie !» Il soulevait également l’essentielle et compliquée équation de la mobilité des jeunes, notamment en milieu rural.

Mathéo Joder, étudiant en première année de l'ESICT Metz, a exprimé ses motivations et les aspirations de sa génération.

Prendre son temps pour former

De l'avis de beaucoup, le métier de canalisateur est certes moins pénible que par le passé, les conditions d'exercice ayant évolué. Pourtant, est-ce suffisant pour répondre aux attentes et attirer des jeunes ? Mathéo Joder et plusieurs de ses camarades présents dans la salle, qui ont forcément une autre approche de la vie en entreprise et plus largement du travail, celle de leur génération finalement : «le salaire reste la priorité.» Bruno Minutiello soulignait lui, à l’heure où le transfert obligatoire des compétences «eau» et «assainissement» aux communautés de communes est prévu au 1er janvier 2026, «des difficultés aussi importantes à recruter dans le secteur public que dans le privé, avec une vraie concurrence entre les collectivités territoriales pour attirer les talents. L’éducation nationale devrait mieux faire connaître ces métiers essentiels.» Chacun de s’accorder sur un point, crucial : «Former un jeune, cela prend du temps et il faut prendre ce temps, mais cela fonctionne.» Olivier François, donc l'efficience du CFA BTP Moselle n'est plus à démontrer, sur ses sites de Montigny-lès-Metz et Sarreguemines, en est un témoin privilégié. Prendre son temps, fixer un cap et le garder : voilà une formule rassurante et qui apparaît si souvent en contradiction avec notre mode sociétal rythmé à l’immédiateté et aux changements de pied si courants. La constance et la patience sont assurément bonnes conseillères.

Ne pas complexifier, simplifier

La seconde table ronde était centrée sur un thème plus technique : «Investir dans l’avenir des réseaux d’eau», autour de Patrick Vaillant, directeur de projet en Économie Circulaire et Matériaux du CEREMA d’Autun, Jacques Masson, délégué départemental Meurthe-et-Moselle des Canalisateurs, Louis Kirsch, responsable d’exploitation sur Sablières de la Meurthe et sur Solodet, Jean-Pierre Callais, vice-président chargé de l’environnement du Pays de Colombey Sud Toulois, et Céline Krommydas, responsable technico-commerciale export à Saint-Gobain PAM. On a ici parlé impact environnemental, durabilité des matériaux, réemploi, recyclage industriel. Avec cette expression volontariste «Les Canalisateurs sont prêts pour le recyclage dont c’est l’ADN.» Les intervenants appelaient «à des cahiers des charges de performance», à «décomplexer les matériaux», «démocratiser le réemploi» et «à ne pas complexifier les marchés». Voilà qui sonne fort à propos au moment où le terme «choc de simplification» s’invite dans les débats nationaux.

Le réemploi au centre des débats.

Réforme des redevances

N’empêche, quand la durée de vie d’un réseau est de 170 ans, les professionnels déplorent «un manque d’investissement à hauteur de 6 Mds€.» Christophe Leblanc, directeur général adjoint de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse, abordait ensuite la réforme des redevances perçues par l’agence effective à partir de 2025 et le financement du nouveau programme d’interventions. Objectif : mieux prendre en compte la performance et la répartition entre usagers. Les travaux sont en cours pour la rédaction des textes de mise en œuvre devant être publiés en juin prochain, Les décisions nationales à venir tiendront compte des redevances concernant les agriculteurs. Pour le bassin Rhin-Meuse, les taux ne seront pas modifiés en 2024. La réflexion est portée sur les taux des nouvelles redevances pour financer le 12e programme 2025-2030. Thierry Ledrich, président de la Fédération des Travaux Publics de Lorraine, et Sébastien Streiff concluaient cette session qui avait trouvée tout son sens et sa pertinence : «construire les réseaux pour et avec les générations futures.»

Christophe Leblanc, directeur général adjoint de l'Agence de l'Eau Rhin-Meuse, est revenu sur le réforme des redevances. 

170  
Le nombre de participants à la 3e édition de la Matinée de l'eau au CESCOM. Ils étaient 85 en 2022 et 115 l'an passé.