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Sessile fédère les artisans fleuristes en résistance

Sessile est un collectif d’artisans fleuristes sur Internet qui ambitionne de donner toute leur place aux professionnels de la fleur sur le web. Accompagnement des commerces de proximité, impact de la crise sur la profession, concurrence… Louis Savatier, cofondateur du collectif, revient sur l’actualité des fleuristes en cette veille de Saint-Valentin. Sessile fédère 350 fleuristes en France et en Belgique, dont la boutique Saona, à Metz.

Défendre le savoir-faire des artisans fleuristes. © Saona.
Défendre le savoir-faire des artisans fleuristes. © Saona.

Si pour les amoureux, la Saint-Valentin est teintée de rose, ce n’est pas l’exacte couleur de la vie que partagent actuellement les fleuristes et plus globalement les professionnels de la fleur. Olivier Savatier, cofondateur du collectif d’artisans fleuristes, y revient : «Toutes les conséquences de la crise, sociales et économiques, ont mis en grande difficulté toute notre filière et notre maillage commercial de proximité.» Pour ce métier de savoir-faire et de savoir-être, ancré dans nos villes et nos campagnes, un tsunami assurément.

La crise, un tsunami socio-économique

Pourtant, ces professionnels font front avec un leitmotiv : parier sur l’innovation. En somme, accélérer la mutation en se digitalisant notamment. Face aux fluctuations des mesures sanitaires ces deux dernières années et à la concurrence grandissante des pure players, les artisans fleuristes doivent aujourd’hui compter avec une hausse des prix qui se traduit par une augmentation du prix des fleurs et de leurs charges. Une situation tendue à l’approche de la Saint-Valentin, un rendez-vous primordial. En effet, cette tradition est une manne indispensable pour les artisans fleuristes qui y réalisent une bonne part de leur chiffre d’affaires de l’année. Cette année pourtant, cette journée sera plus décisive que les autres, en raison de deux ans vécus au gré des mesures sanitaires, entre interdiction d’ouvrir, jauges en magasins et couvre-feux généralisés. Olivier Savatier explique : «La fermeture temporaire des boutiques de fleurs a évidemment joué un rôle prépondérant sur le désarroi actuel des fleuristes, et la vente en ligne n’a pas suffi à maintenir un niveau de vente équivalent à l’avant-crise. Et même lorsqu’ils ont enfin été autorisés à ouvrir de nouveau, ayant été reconnus comme commerce essentiel en mars 2021, l’affluence en boutique n’a évidemment pas suivi.»

Au nom de la rose

Ces résultats en dents de scie ont provoqué la fermeture de nombreux commerces. L’étude d’impact de l’interprofession horticole Val’hor d’octobre 2020 estime à 2 000 le nombre de fleuristes ayant dû mettre la clé sous la porte. Par ailleurs, la fête pourrait être gâchée par une autre conséquence de la pandémie : la hausse de l’inflation qui se répercute sur les prix de l’énergie. L’explosion des factures de gaz a mécaniquement entraîné une hausse des prix des fleurs cultivées sous serre, soit 90 % des fleurs circulant sur le marché français. Les artisans fleuristes sont donc contraints de revoir le tarif à la tige tout en rognant sur leurs propres marges. La rose est en effet sans conteste le révélateur des difficultés éprouvées par les fleuristes tous les ans. Étant donné sa popularité pour la Saint-Valentin, elle est souvent sujette à une forte hausse de son prix à l’approche du 14 février. Ainsi, l’année dernière, son prix chez les grossistes pouvait culminer à 8 euros pour les plus chères, selon les cours communiqués par France Agrimer, hausse qui devrait se reproduire une nouvelle fois cette année.

Une concurrence low cost

Olivier Savatier continue : «Ces difficultés pourraient être une nouvelle fois accentuées par la pression exercée par la grande distribution sur les producteurs, qui proposent des fleurs de moindre qualité à des tarifs sur lesquels les fleuristes ne pourront pas s’aligner. C’est notamment ce qu’il s’est produit à l’occasion de la fête des mères 2021, où la pivoine s’arrachait parfois à 6 euros la tige en raison d’un épisode de gel qui avait fragilisé les récoltes. Les différents épisodes de confinement ont aussi accentué le phénomène de transactions sur Internet, souvent en défaveur des fleuristes. Ceux-ci sont en effet à la fois inféodés à des plateformes de transmissions florales qui leur impose une politique de commissionnement prohibitive (entre 30 et 50 % de la valeur du bouquet selon la dernière enquête de 30 millions de consommateurs), et captent la majorité de la demande sur Internet. De l’autre côté du spectre, l’essor des pure players est un nouvel écueil pour la filière en proposant des bouquets standards à prix cassés, souvent réalisés à la chaîne dans des entrepôts.» Pourtant, et c’est un autre enseignement de l’étude d’impact de Val’hor, les fleuristes ayant développé activement la vente en ligne ont bien mieux résisté à la crise que les autres. Chez Sessile, les ventes ont été multipliées par six pendant les différents confinements, ce qui témoigne d’une persistance de la demande malgré les mesures sanitaires alors en vigueur.

Sortir la tête de l'eau

C’est pour répondre à ce contexte anxiogène pour les fleuristes qu’est né le collectif Sessile. Partant du principe que le marché fait peser une incertitude économique sur les professionnels de la fleur, le collectif a décidé de s’orienter vers un modèle plus juste envers les fleuristes, leur permettant de fixer eux-mêmes le tarif de leurs bouquets pour ajuster leurs marges et en ponctionnant une commission plus faible. L’objectif est de rassembler les fleuristes indépendants et leur redonner une marge de manœuvre, de sorte que la visibilité des uns profite à celle des autres. Olivier Savatier note : «C’est donc un modèle de digitalisation plus juste, aux antipodes du phénomène d’ubérisation déjà à l'œuvre par l’entremise des plateformes de transmission florale, qui doit devenir la norme pour les artisans fleuristes. Contrairement aux plateformes de transmission florale, le site Sessile ne leur impose pas de catalogue, leur permet de mettre en avant des compositions personnelles qui ne comprennent pas forcément de roses, ce qui facilite pour eux la gestion des coûts d’achat.»

Un marché défavorable

Tout en continuant à soutenir les artisans fleuristes, Sessile envisage désormais de faciliter l’approvisionnement des fleuristes en leur permettant de se fournir directement auprès de producteurs locaux, pour limiter les aléas du marché tout en protégeant la filière. Resserrer le circuit de production pourrait par la même occasion permettre de réduire l’empreinte carbone de chaque bouquet. L’objectif est d’unir un nombre grandissant d’artisans fleuristes pour résister au mieux dans un contexte souffreteux. Inverser la tendance ? Sans doute pas à court terme. L’immédiat est de structurer et de cimenter une offre de proximité unique et de qualité… et de convaincre le consommateur que tout ce qui est moins cher n’est pas forcément garantie de meilleur choix. Le porte-monnaie a sans doute ses raisons, mais l'argument a ses limites. Tout le sens de l'action de Sessile et de l'Interprofession française de l'horticulture, de la fleuristerie et du paysage.

Pour aller plus loin :

https://www.sessile.fr/

«L'objectif est de soutenir la filière fleuriste artisanale face à la concurrence des pure players et des grandes surfaces», explique Louis Savatier, cofondateur du collectif Sessile.