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Défaillances d’entreprises : quelle situation en Moselle ?

En ce printemps, les chiffres des défaillances d’entreprises en France n’incitent pas à un optimisme béat. Dans un climat socio-économique contrasté et restant incertain, comment s’en sort l’entrepreneuriat mosellan ? Quels secteurs d’activité résistent ? Lesquels souffrent ? Quelles perspectives pour les mois à venir ? Décryptage.

Beaucoup d'entreprises sont actuellement fragilisées par une dette trop lourde avec conjoncture trop faible.
Beaucoup d'entreprises sont actuellement fragilisées par une dette trop lourde avec conjoncture trop faible.

Sans sombrer dans une vision cataclysmique, la situation économique hexagonale ne doit pas, dans le sens inverse, nous ouater dans un déni confortable mais peu en rapport avec la réalité actuelle des chefs d’entreprise. Pléthore rament sur une mer économique à forts vents contraires. Le groupe Altares, expert et référent de la donnée d’entreprises, a dévoilé les chiffres des défaillances en France pour le premier trimestre 2024. Il n’est pas inutile de rappeler ce que l’on entend par défaillances. À savoir, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire directe auprès d’un Tribunal de commerce ou judiciaire. Cela ne recouvre donc ni les procédures amiables ni les suites d’ouverture.

Les TPE durement impactées

Ceci précisé, décryptons ce faisceau de statistiques pour ces trois premiers mois de 2024. Avec, d’emblée, des points inquiétants au niveau national : 17 088 procédures ouvertes au T1 plus haut niveau depuis le TI 2015 (18 134) , barre des 60 000 défauts sur douze mois franchie dès le mois de février, 154 PME de plus de 50 salariés faisant défaut lors de T1 2024 - au plus haut depuis le T1 2013 (156) . Un élément positif tout de même : plus faible augmentation du nombre de défauts depuis deux ans (+ 19,4 %). Avec 349 jugements enregistrés, le nombre de procédures de sauvegarde est en hausse de 13,7 %. Cet outil d’anticipation retombe à seulement 2 % de l’ensemble des procédures. Les redressements judiciaires (RJ) ont augmenté eux de 44,6 % pour 4 743 jugements prononcés. Un nombre au plus haut depuis 2016. Ils représentent désormais plus d’un jugement sur quatre. Les jugements en liquidation judiciaire (LJ) augmentent moins vite (+ 11,8 %) avec 11 996 liquidations directes ont été prononcées, un nombre se rapprochant du début 2015. Les TPE constituent toujours l’essentiel des défauts (92 %). Lors de ce T1 2024, 15 600 TPE de moins de 10 salariés sont tombées en défaillance. Le rythme décélère : un peu moins de 19 % d’augmentation de défauts contre 42 % au T1 2023.

Les jeunes entreprises en résistance

Le bilan est plus contrasté pour les PME/ETI. 1 444 sociétés d’au moins dix salariés ont fait défaut au cours de ce premier trimestre 2024, en augmentation de 28 %. La dégradation était deux fois plus rapide un an plus tôt (+ 59 %). La situation est très tendue pour les plus grandes PME de plus de 50 salariés. 154 ont fait l’objet d’une procédure collective : le nombre le plus haut depuis le premier trimestre 2013. Le nombre d’ouvertures bondit de 58 % chez les PME de 50 à 200 salariés. Malgré cette fragilité, le nombre d’emplois menacés par ces procédures retombe sous les 59 000 (58 700). 27 500 de ces emplois sont attachés à des structures ayant été liquidées. Les jeunes entreprises, créées à partir de 2022, dont on trouve la genèse durant la période pandémique, se montrent plus résistantes que la moyenne. 1 610 sont tombées en défaillance : 5,9 % de plus qu’au T1 2023. Elles ne portent pas la charge d’une dette liée à la Covid-19, type PGE, subissent les effets d’une conjoncture défavorable. Dotées de moins de fonds propres que leurs aînées, elles sont très majoritairement, à 80 %, placées en liquidation judiciaire directe. Les structures âgées de 11 à 15 ans présentent un évolution bien en-deçà de la moyenne (+ 13 %).

Entre rebond et marasme...

Le paysage des activités est contrastée. Quand celles liées aux services à la personne, la restauration, le commerce bouche semblent redresser la barre. Feu est au vert également pour la coiffure, les activités relatives au sport - comme les centres et clubs - et à l’environnement, les auto-écoles, la sécurité privée, la programmation informatique, l’ingénierie, l’imprimerie, la mécanique industrielle. Cela reste en revanche pour difficile en ce début d’année pour pléthore d’activités : le vente de détail d’habillement et de meubles, le conseil en communication et en gestion, le nettoyage de bâtiments, le transport routier de marchandises, l’immobilier, la construction, la santé humaine et action sociale, les pharmacies. Dans ce panorama hexagonal gris clair gris foncé, dans un climat socio-économique incertain, la Moselle fait mieux que résister. Lors du premier trimestre 2024, elle est tombée sous les + 10 % de défaillances par rapport au premier trimestre 2023. Elle se situe dans l’étiage des départements alsaciens. Sa situation est bien plus enviable que les départements des Vosges (+ 60 %), de la Meurthe-et-Moselle et de la Meuse, tous deux dépassant les + 40 %. L’Aube et la Haute-Marne font mieux avec un recul de 30 %.

Après l'effet rattrapage

La Moselle, lors des trois premiers mois de l’année, a enrayé la spirale négative d’il y a un an. On se souviendra qu’au premier trimestre 2023, elle avait enregistré une flambée de défaillances (185) : + 48 % par rapport au premier trimestre 2022 (+ 6,84 % du premier trimestre 2021 au premier trimestre 2022). N’empêche, si ce signe est positif, il faudra observer à la loupe la courbe des défaillances des mois à venir. Reviendront-ils aux chiffres d’avant pandémie ? Dans ce cas, pourra-t-on encore parler «d’effet rattrapage» ? Serons-nous alors à l’approche d’une nouvelle crise systémique ? Rien n’est moins sûr. Tout cela est largement dépendant également du nombre d’entreprises créées. On le sait, elles suivent toujours une phase ascendante. Au premier trimestre 2024, 3 263 ont été lancées, selon l’Insee, soit + 8,77 % par rapport au premier trimestre 2023. On sort d’une stagnation des premiers trimestres 2021, 2022 et 2023, où, respectivement, 3 012, 3 002 et 3 000 entreprises avaient été créées, après l’explosion entre 2019 et 2021 (+ 33,93 %).

La société change, l'entrepreneuriat aussi

Quant aux perspectives nationales 2024, Thierry Millon, directeur des études Altares, nous en dit plus : «Comme le suggérait déjà notre précédente étude, le ralentissement économique souffle sur les braises Covid encore fumantes et frappe les employeurs (...). Cependant, à l'instar de l'inflation, le rythme des défaillances semble lui aussi vouloir ralentir à l'entame du printemps. L'activité économique fait du sur-place, ne permettant pas encore un reflux des cessations de paiement, mais les hausses exceptionnelles alignées depuis deux ans pourraient enfin être stoppées. Janvier 2024 est retombé à son rythme de janvier 2022 sous les + 20 % contre + 45 % en moyenne mensuelle entre ces deux dates. À la faveur d'une conjoncture qui redeviendrait progressivement un peu plus accommodante, l'année 2024 s'achèverait sur un nombre de défaillances, sauvegardes comprises, en hausse de 10 % proche donc des 64 000 procédures, un nombre élevé mais pas un mur de faillites.» Enfin, il y a cet élément à ne pas négliger. En Moselle, au premier trimestre 2015, 1 632 nouvelles entreprises avaient été recensées. Une décennie qui a vu le visage de l’entrepreneuriat changer. Toujours lors cette année 2015, à peine 50 % des nouvelles créations étaient des auto-entreprises. Lesquelles, au premier trimestre 2024, flirtent avec un taux de 70 % du total créations dans le département. Plus qu’un changement, c’est un bouleversement. Dès lors, on peut s’interroger : cette façon d’accéder à l’indépendance professionnelle via la micro-entreprise est-elle un modèle économique solide et durable, ou éphémère et friable, choisi ou contraint ? Ce ne sont pas les moindres des interrogations. Créer, oui. Pérenniser, c’est encore mieux. Cela questionne assurément quant à notre vision de l’entrepreneuriat. Une modification de paradigme comme il s'en produit régulièrement dans les strates de notre modèle sociétal. En Moselle, comme ailleurs, la pandémie a eu un effet indéniable d'accélérateur.