Avenir de la profession d’avocat : les propositions de la mission Perben

Avenir de la profession d’avocat : les propositions de la mission Perben

Commandé en mars dernier par Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice, et remis le 26 août dernier au garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, le rapport sur l’avenir de la profession d’avocat formule treize propositions, dont la plupart correspondent à des demandes portées, depuis un certain temps déjà, par l’institution représentative de la profession.

Le rapport sur l’avenir de la profession d’avocat élaboré par la mission présidée par l’ancien ministre de la Justice Dominique Perben vient s’inscrire dans la longue liste de précédents travaux traitant plus ou moins du même sujet (rapports Darrois, Haeri, Gauvain…), et restés sans suite. Mais la particularité de cet énième rapport est qu’un grand nombre de ses recommandations concerne des mesures réclamées par l’instance représentative de la profession d’avocat, le Conseil national des barreaux (CNB).

Une «crise de l’offre», avant tout

Dans son rapport, la mission Perben constate tout d’abord que si le mouvement de grève contre la réforme des retraites et la crise sanitaire ont profondément affecté la situation d’un grand nombre de cabinets, en réalité, «les difficultés que rencontre la profession d’avocat sont beaucoup plus anciennes». Et structurelles. En 20 ans, ses effectifs ont doublé et son chiffre d’affaires a triplé. Mais les inégalités se sont creusées : «63 % de la population déclare 25 % du revenu global» et «3,2 % de la population déclare à elle seule 25 % des revenus de la profession », pointe le rapport. Des disparités qui «jouent notamment au détriment des collaborateurs, des femmes, des avocats de province, des avocats exerçant à titre individuel et des activités judiciaires». En cause, selon le rapport : la conception trop traditionnelle du droit qu’ont les avocats français, trop axée sur le judiciaire et pas assez sur le conseil, et insuffisamment investie sur les nouveaux champs d’activité que s’approprient les legaltechs… Selon la mission, la crise de la profession est avant tout «une crise de l’offre».

Barème de l’AJ, article 700, garantie perte de collaboration…

Parmi les propositions émises pour améliorer la situation économique des avocats, la mission préconise, notamment, une revalorisation de l’aide juridictionnelle, en faisant passer l’unité de valeur de 32 à 40  euros et en augmentant le nombre d’unités de valeur pour certaines missions (médiation ordonnée par le juge, assistance éducative, rétribution de l’avocat de la victime…). Le tout financé par la réintroduction d’un timbre fiscal de 50 € pour les contentieux d’un montant supérieur à 5 000  euros, et par le produit de la taxe sur les contrats de protection juridique.

Autres pistes : réformer l’article 700 du Code de procédure civile de façon à augmenter les montants versés pour couvrir les frais de défense (sur présentation des factures par les avocats), accorder l’exécution provisoire aux ordonnances de taxation des honoraires émises par les bâtonniers, afin d’améliorer la trésorerie des avocats, et rendre obligatoire la souscription par les barreaux d’une garantie «perte de collaboration» collective (dont le coût serait réparti entre tous les avocats).

Élargir l’offre de services, consolider les structures d’exercice

Le rapport suggère également des réformes visant les structures d’exercice de la profession. Il propose ainsi d’autoriser l’apport de capitaux extérieurs (limité, et sans droit de vote pour les associés exerçant une profession non juridique et judiciaire), de moderniser le régime juridique de la société d’exercice libérale (SEL) et de la société de participation financière de professions libérales (SPFPL), afin d’encourager l’exercice groupé, ou encore de réfléchir à l’instauration d’une rémunération de l’apport d’affaires entre avocats.

Autre proposition : conférer la force exécutoire aux actes contresignés par avocats dans le cadre des modes amiables de règlement des litiges, lorsqu’ils constatent l’accord réalisé entre les parties. Le Conseil supérieur du notariat (CSN) a immédiatement réagi à cette dernière préconisation en rappelant, dans un communiqué, qu’attribuer la force exécutoire à l’acte d’avocat «serait contraire à la Constitution» et que «l’avocat, compte tenu de son indépendance, n’est pas et ne saura jamais être dépositaire de l’autorité de l’État».

La mission écarte en revanche l’idée de créer un statut d’avocat en entreprise, estimant le sujet trop clivant au sein du Barreau, ou d’instaurer un taux de TVA réduit sur les honoraires d’avocats, car cette mesure est pour l’instant «incompatible avec la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA», laquelle est actuellement en cours de révision.

Apaiser les relations avocats-magistrats, mieux protéger le secret professionnel

Autre axe d’amélioration préconisé par les membres de la mission Perben : favoriser le dialogue entre magistrats et avocats, dont les rapports se sont dégradés dernièrement. Elle suggère d’instaurer, par exemple, des rencontres régulières entre chefs de juridiction et bâtonniers, ainsi qu’une conférence annuelle entre magistrats et avocats, et de faciliter la passerelle vers la magistrature en dispensant les avocats du stage probatoire.

Enfin, le rapport conseille de renforcer le secret professionnel des avocats, tant en matière de défense que de conseil, d’enquêtes préliminaires ou d’instructions, en renforçant le pouvoir du juge des libertés et de la détention (JLD) en ce qui concerne les mesures coercitives visant des avocats, ainsi que le pouvoir du bâtonnier dans le cadre des perquisitions dans les cabinets. Une préconisation qui devrait interpeller le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui fait partie des avocats dont les factures téléphoniques ont été épluchées par le parquet national financier, dans le cadre de l’affaire dite des «fadettes».

Miren LARTIGUE