L’insaisissable classe moyenne

La crise des «gilets jaunes» a mis en lumière la diversité de la classe moyenne, démontrant par là même la nécessité d’une approche socio-économique.
La crise des «gilets jaunes» a mis en lumière la diversité de la classe moyenne, démontrant par là même la nécessité d’une approche socio-économique.

Une récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre qu’il est de plus en plus difficile d’accéder à la classe moyenne et d’y demeurer… Éclairage.

La crise des «gilets jaunes» a mis en lumière la diversité de la classe moyenne, démontrant par là même la nécessité d’une approche socio-économique. Ce, d’autant plus, que riches comme pauvres pensent appartenir à la classe moyenne ! Il est vrai que celle-ci représente depuis très longtemps un idéal, en particulier dans la société française où l’aspiration à l’égalité reste chevillée au corps. Tocqueville voyait d’ailleurs dans cette «passion pour l’égalité», l’aiguillon qui conduit immanquablement à la constitution d’une vaste classe moyenne en démocratie…

Un concept flou

D’une manière caricaturale, l’on entend souvent dire que la classe moyenne est constituée de personnes qui sont trop riches pour pouvoir prétendre à des aides sociales et trop pauvres pour espérer vivre de leurs rentes. Sans surprise, avec une telle définition, deux tiers des personnes vivant dans les pays de l’OCDE se considèrent comme appartenant à la classe moyenne… Dès lors, afin d’avoir un cadre d’étude, les économistes choisissent souvent de définir la classe moyenne à partir du revenu, tandis que les sociologues préfèrent s’appuyer sur la situation socioprofessionnelle des individus, sans négliger pour autant les capitaux économique, social et culturel (cf. Bourdieu). L’OCDE, pour sa part, définit la classe moyenne – appelée dans son jargon «catégorie des revenus intermédiaires» -, comme l’ensemble des personnes qui vivent dans des ménages dont les revenus représentent entre 75 % et 200 % du revenu médian national, ce dernier représentant le revenu qui partage la population en deux groupes, ceux qui ont plus et ceux qui ont moins. De là découle la notion de classe moyenne inférieure (75 % à 100 % du revenu médian) et de classe moyenne supérieure (150 % à 200 % du revenu médian). À titre d’illustration, en France, le revenu médian par unité de consommation s’élevait à 1 785 euros en 2015, ce qui avec la définition précédente situe la classe moyenne française dans la fourchette 1 340 / 3 570 euros.

La classe moyenne se vide de sa substance

En moyenne, au sein des pays de l’OCDE, la part des personnes vivant dans des ménages de la classe moyenne est passée de 64 % au milieu des années 1980 à 61 % au milieu des années 2010. Pis, les revenus de la classe moyenne n’ont quasiment pas augmenté et ont même stagné dans certains pays, depuis trente ans, contrairement à ceux des 10 % les plus riches. Il est vrai que le basculement vers une économie de services et l’affaiblissement important du pouvoir de négociation des salariés ont conduit à une déformation structurelle du partage des revenus, au détriment des salariés, tant au sein de la zone euro que de l’OCDE. En parallèle, les prix de l’immobilier se sont déconnectés des revenus, ce qui conduit au surendettement et rend de plus en plus inatteignable l’accession à la propriété, pourtant souvent perçue comme le symbole même de l’appartenance à la classe moyenne. Une récente étude de l’OCDE montre que, dans ces conditions, les chances d’accéder à la classe moyenne s’amenuisent de génération en génération. En particulier, il faut désormais souvent travailler à deux dans un ménage et avoir un niveau de compétences plus élevé pour espérer faire partie de la classe moyenne. Ce qui est à rapprocher de la destruction des emplois intermédiaires, en raison du passage à une économie de services et à l’automatisation croissante. En tout état de cause, on s’achemine vers un sentiment généralisé de frustration chez ceux à qui on aura chanté les louanges de la méritocratie et qui, après avoir travaillé dur pour décrocher un diplôme réputé être de qualité, se verront offrir de rares emplois subalternes leur permettant tout juste d’être dans la classe moyenne… Au surplus, il est bon de garder à l’esprit que si le système de redistribution corrige les inégalités les plus criantes, la classe moyenne a le sentiment de ne pas vraiment en bénéficier. Quant à l’ascenseur social, il est définitivement en panne au sein des pays de l’OCDE, puisqu’il faut en moyenne 4,5 générations aux descendants d’une famille située dans les 10 % les plus pauvres pour atteindre le revenu moyen dans la société (six générations en France) ! L’École ne joue hélas plus depuis longtemps le rôle d’accélérateur social si bien décrit par Albert Camus. Or, nul n’ignore que le niveau d’éducation conditionne l’accès à l’emploi et que la formation professionnelle est loin de toujours remédier efficacement à ces inégalités. En définitive, négliger les problèmes de la classe moyenne serait une faute lourde, car de très nombreuses études montrent qu’une classe moyenne nombreuse est synonyme, pour un pays, de prospérité, de croissance et de développement soutenable…