«Il n’y a pas ceux qui combattent et ceux qui soutiennent, il n’y a qu’une armée»

Crédit : Tout Lyon affiches
«En 2017, on a adhéré au réseau Restau’Co qui fédère le monde de la restauration collective (300 000 agents). Cela nous a permis de suivre de près les débats liés à la loi Egalim», assure le général Patrick Henry.
Crédit : Tout Lyon affiches «En 2017, on a adhéré au réseau Restau’Co qui fédère le monde de la restauration collective (300 000 agents). Cela nous a permis de suivre de près les débats liés à la loi Egalim», assure le général Patrick Henry.

Basé au quartier Général-Frère (7e arrondissement de Lyon), le général Patrick Henry arrive au terme de son mandat et passera le relais à la fin de l’été. Celui qui cornaque depuis trois ans le Centre interarmées du soutien «restauration et loisirs» (ndlr : qui relève de la direction centrale du Service du commissariat des armées) livre un bilan positif, en rappelant le professionnalisme et l’exigence qui président aux métiers de la restauration militaire, trop souvent oubliés, ou à tout le moins méconnus, alors qu’ils s’avèrent indispensables pour un fonctionnement efficient des armées sur le sol domestique ou en opérations extérieures. À la tête d’un centre impacté par les menaces terroristes, disrupté par les évolutions technologiques et mû par une soif d’innovations infrangible, il entend démontrer l’importance du service de restauration aux côtés des forces qui combattent sur le terrain. L’alimentation comme… nerf de la guerre, en quelque sorte.

Vous êtes arrivé à la tête du Centre interarmées du soutien «restauration et loisirs» à la fin de l’été 2016. Votre mandat touche à sa fin (passation de témoin le 26 août). Pensez-vous que l’on accorde à ce centre – et aux missions qui lui incombent – l’importance qui lui est due ?
Le Centre interarmées du soutien «restauration et loisirs» a la charge de 350 restaurants et anime une filière imposante (environ 8 000 personnes concernées). On parle de sites physiques (les restaurants des bases aériennes, navales, des casernes) mais aussi des bateaux de la Marine nationale. Sans oublier les militaires déployés en opex (ndlr : opérations extérieures), comme ceux de l’opération Barkhane, menée au Sahel et au Sahara. La mission du Centre est primordiale. Il s’agit de nourrir le militaire dans son contexte de vie. Le soldat n’a pas vocation à passer sa vie en caserne, il se déplace, est mobile et actif sur divers terrains. Napoléon disait : «Le soldat se bat quelquefois, marche parfois, mange tous les jours.» Il n’y a pas d’un côté, celui qui combat, et de l’autre, celui qui soutient. L’équipe prime, l’esprit collectif prédomine. Je le répète souvent : le Centre interarmées du soutien «restauration et loisirs» joue un rôle capital dans le bon fonctionnement de nos armées, en France et à l’étranger.

L’implantation de ce Centre à Lyon, est-ce une évidence ?

Non, il aurait pu voir le jour n’importe où en France. Mais en raison de l’incroyable écosystème lyonnais en termes de gastronomie, je pense que c’est une très bonne idée que de l’avoir positionné ici, en 2014. Le Centre regroupe 70 experts, ceux du matériel de restauration, de l’offre alimentaire, c’est-à-dire la manière de concevoir les menus et de travailler dans les cantines, des experts de la sécurité alimentaire, de la sûreté alimentaire, qui vérifient par exemple que l’eau ne soit pas polluée par des actes malveillants ou qu’aucun poulet congelé ne soit bourré de TNT et ne saute dans les soutes d’un bateau… Il y a aussi un vétérinaire, Sébastien, originaire de la Chartreuse. C’est une pointure dans son domaine, il anime le réseau français des responsables de la sécurité alimentaire. Il redouble de vigilance quand il commande et quand il réceptionne les marchandises. L’élaboration de fiches pratiques nous a permis d’accroître notre efficacité dans les contrôles. C’est peu ou prou tout ce qui gravite autour de l’univers de «Food defense».

Recensez-vous de nombreux actes de malveillance ? Sont-ils en croissance ?

La TIAC (ndlr : toxi-infection alimentaire collective) est le cauchemar de tout responsable de restaurant. L’Armée s’est dotée de procédures lourdes mais qui s’avèrent indispensables et efficaces. Depuis le début de l’année 2019, 4/5 problèmes ont été relevés. À la suite d’enquêtes, il s’avère que l’armée n’est pas impliquée dans ces incidents. Les causes étaient extérieures. Un cas a été signalé à Brest et concernait la Marine. Finalement, il s’agissait d’un acte malveillant d’un salarié d’une entreprise qui fournissait de la nourriture à l’armée. Ce dernier avait volontairement brisé la chaîne du froid des aliments livrés, car il voulait se venger de son patron.

Le Centre a-t-il vocation à répondre favorablement aux exigences des militaires, qu’elles soient confessionnelles ou dictées par de nouvelles habitudes de consommation ?

En 2017, on a adhéré au réseau Restau’Co qui fédère le monde de la restauration collective (300 000 agents). Cela nous a permis de suivre de près les débats liés à la loi Egalim (ndlr : adoptée par le Parlement le 2 octobre 2018, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable a été promulguée le 1er novembre 2018) et en déduire de manière concrète, comment se préparer à l’échéance de 2022. L’idée est de répondre à la question : comment mettre plus de bio et de produits de qualité dans l’assiette sans coût supplémentaire ? Notre méthode : bien connaître les filières d’approvisionnements. Au sujet du bio, nous savons qu’il faut acheter du bœuf ou du poulet mais pas de porc car la filière porcine n’est pas encore structurée donc elle coûte cher ! Notre avantage est d’acheter et d’expérimenter à grande échelle. Ainsi, on parvient à de bons résultats. Nous avons donc intégré du bio et des produits labellisés en maîtrisant les coûts. L’augmentation est mineure : seulement 10 centimes de plus par repas. Nous tentons de répondre aux tendances sociétales (végétarien, vegan…) et dans la mesure du possible aux particularismes confessionnels, en proposant des menus variés à base de poisson, de porc. En revanche, quand on est en opération, pas de passe-droit. L’opération prime !

Quid des opérations des missions Sentinelle ?

À l’origine du déploiement de Sentinelle, on passait des partenariats avec des restaurants qui accueillaient les militaires, généraient les factures, attendaient le paiement deux mois après… Ce système, rigide, ne convenait ni aux restaurants ni à nos équipes. Désormais, il existe le Pass’Sentinelle, le soutien en alimentation des troupes de Sentinelle, déployé sur tout le territoire depuis juin 2018, doté d’une souplesse opérationnelle (horaires flexibles), de cartes monétiques d’alimentation individuelles, d’une géolocalisation sur smartphone pour connaître les restaurants alentour… Nos soldats ont désormais accès à 200 000 points de vente. Sans omettre les potentialités offertes par les restaurations dites alternatives comme les kiosques à pizzas – des automates mis en place dans les enceintes militaires isolées et qui délivrent, entre 22 heures et 6 heures, des pizzas – ; ou les food trucks, pour, par exemple, une livraison in situ lors d’un bivouac à Mourmelon. On a aujourd’hui la capacité à livrer au plus près du soldat.

Vous insistez sur l’importance de la restauration pour l’Armée. L’image est en train d’évoluer, positivement, sous l’effet d’événements nouveaux, comme le concours Trident d’Or…
Nous nous devons d’évoluer. Pour challenger les restaurants militaires, on attribue un label Trident. Si le restaurant respecte à 80 % le référentiel, il obtient le label. Aujourd’hui, 90 % de nos restaurants l’ont. Le label s’adapte chaque année. Tout est contenu dans ce label : bien nourrir, bien accueillir, bien informer, bien piloter. Il a permis de professionnaliser nos modes de fonctionnement. Nous voulons placer le cuisinier au centre de nos préoccupations. Lui donner l’occasion de démontrer qu’il est un professionnel remarquable, notamment auprès des hautes autorités. D’où la création d’un concours, organisé tous les deux ans et qui monte en puissance. Cette année, il était parrainé par Guillaume Gomez, chef cuisinier du palais de l’Élysée, le chef cuisinier du chef des Armées, à savoir le président de la République. Le jury comprenait aussi les MOF (Meilleurs ouvriers de France) Davy Tissot et Alain Le Cossec, Marie Sauce-Bourreau la présidente des Toques Françaises, Bernard Leprince qui dirige les cuisines du groupe Frères Blanc à Paris, le Lyonnais Christophe Marguin, le MOF Christian Janier, Virginie Basselot le chef des cuisines du Negresco… Ce sont les garanties d’un jury impartial et haut de gamme. Tous ces grands noms ont fait preuve de simplicité vis-à-vis de nos binômes de chefs cuisiniers militaires, leur disant : «Vous avez de la valeur». Quand les protagonistes entendent : «Ce plat, je le prends à ma carte», ils sont fiers. C’est beau. C’est la reconnaissance d’un travail de l’ombre. Quand on gagne Trident, on représente ensuite la France aux États-Unis. Guillaume Gomez va accueillir, dans ses cuisines, le vainqueur pour le stimuler et le coacher avant l’épreuve. À l’instar du civil, il y a très peu de femmes dans nos cuisines. L’idée est désormais de valoriser les parcours féminins, c’est un point d’attention pour l’avenir.

Justement, l’avenir pour vous s’écrira ailleurs. Comment jugez-vous votre mandat ? Des regrets ?
Mille regrets car les choses n’avancent pas à l’allure souhaitée. Je viens de lancer des actions pour réduire le gaspillage alimentaire. Selon une étude de l’Ademe (ndlr : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), il y a, de la fourche à la fourchette, 15 à 20 % de gâchis. À l’heure où les crédits budgétaires sont insuffisants, on se doit d’agir et de lutter contre le gaspillage. Des sites pilotes vont mener des actions. D’un état zéro, on comparera ensuite ce que l’on a gagné. Autre réflexion, la réduction des déchets. Il faut repérer les process et voir où les gains sont possibles. Beaucoup de chantiers sont en cours, beaucoup de fers au feu. À titre personnel, je juge mon bilan positif. Beaucoup d’innovations émaillent le Centre. Nous allons au contact de start-up. Une, rencontrée en juin 2018, faisait des tapis connectés pour Roland-Garros afin de diriger les spectateurs vers les stades et optimiser les remplissages. Dans les restaurants militaires, on rencontre des problèmes de files d’attente. Nos troupes se plaignent. Grâce aux tapis, il sera aisé d’informer en cuisine que le coup de feu n’est pas fini, de renseigner des panneaux devant les salles pour dire cette salle est pleine, mais celle d’à côté est libre, de faire passer des messages aux professeurs pour leur dire de ne pas libérer les élèves de suite car il y a de l’attente aux cantines. Nous devons gagner en fluidité. Des tests seront opérés à Lyon, à Toulon et à Rochefort. Nous avons rencontré les dirigeants d’une start-up qui conçoit un boîtier avec IA pour les salles froides. Ce boîtier écoute et analyse les bruits du compresseur et se déclenche pour prévenir la panne. Bref, l’innovation est omniprésente dans l’Armée.

Propos recueillis par Laurent ODOUARD (Tout Lyon affiches) pour RésohebdoEco