«Il n'y a nulle part en Europe cette politisation de l'économie que connaît la France.»

Crédit photo : Isabelle Auzias.
 «En France, il nous faut une politique qui pousse les entrepreneurs à rester pour qu’ils investissent et embauchent», assure Pierre Gattaz, le président de Business Europe.
Crédit photo : Isabelle Auzias. «En France, il nous faut une politique qui pousse les entrepreneurs à rester pour qu’ils investissent et embauchent», assure Pierre Gattaz, le président de Business Europe.

En mai 2018, à peine sorti du Medef qu’il a drivé pendant cinq ans Pierre Gattaz était élu à l’unanimité président de Business Europe, succédant à Emma Marcegaglia, la tête du groupe ENI. Point d’étape et ambitions.

Business Europe, c’est un Medef européen ?

Nous représentons les 28 patronats européens, plus sept patronats «amis» (comme la Suisse). À 35, nous voulons promouvoir l’excellence économique, fondamentale, mais en partageant tous la valeur de la protection sociale et du bien-être des salariés. Business Europe, ce sont des gens responsables, très pro-européens.

Quelle a été votre touche personnelle depuis votre élection ?

Côté terrain, j’ai fait le tour de l’Europe en six mois, via une dizaine de capitales, juste avant le 26 mai. Et avec mes pairs locaux, nous avons organisé des rencontres, et une communication autour de ces rencontres, pour donner la position du patronat. Le message était clair : si on veut, à terme, améliorer les prestations sociales, alors il faudra écouter les entreprises… En interne, nous avons développé une argumentation simple : l’Europe a apporté au passé la prospérité, la démocratie et la croissance, aux 28 pays, surtout aux pays de l’Est. C’est assez incroyable, ils ont un taux de chômage de 5 %… À présent, l’Europe est une nécessité face aux deux géants que sont la Chine et les États-Unis, qui veulent tous deux être maîtres du monde. Dans le futur, l’Europe porte des challenges, comme le climat, l’énergie, l’intelligence artificielle, le respect de la planète. La démographie en Afrique ou en Inde va exploser, que pourrait faire, tout seul, un petit pays comme la France ?

Quel rapport direct avec les entreprises ?

L’entreprise apporte 80 % des jobs en Europe, et elle apporte aussi 80 % des solutions à tous ces challenges à venir.

Quels sont vos rapports avec les instances politiques européennes en tant que président de Business Europe ?

J’ai beaucoup bossé avec Jean-Claude Juncker, avec les commissaires européens. Nous sommes prêts à rencontrer la nouvelle équipe, avec un certain nombre d’arguments, parmi lesquels l’importance du marché unique, pour 500 millions de consommateurs, l’importance aussi d’une union douanière, l’importance de l’euro. Nous travaillons sur une vision industrielle à 30 ans. Le marché unique, c’est plus d’agilité, de rapidité, de créativité, avec en parallèle des réglementations moins lourdes. Pas question pour nous d’opter pour un marché unique à l’américaine, façon cowboy, oui nous voulons transformer nos start-up en Google ou en Amazon, mais avec une vraie vision à long terme. Sans pour autant faire des plans à la chinoise… Il y a quelque chose d’intermédiaire à trouver entre les deux.

N’est-ce pas une vision trop… française ?

Sans doute un peu. C’est surtout une vision industrielle, je l’ai beaucoup testée auprès de mes pairs, à travers Ambition 2030, le premier document avec une réelle perspective. Et les autres patronats écoutent, y compris les plus libéraux, comme les Polonais et les pays de l’Est en général, qui sont très américanophiles, qui ont un peu peur de trop de directives de Bruxelles. Moi, je leur dis de réfléchir à l’Afrique, qui va passer de 1,2 à 2,5 milliards d’habitants : il faut les aider, leur créer des jobs, les pousser à réfléchir sur des concepts comme les smart cities. Il faut les épauler, pour le travail, l’éducation, la santé. Les Indiens sont en train de créer 106 villes nouvelles, et ils nous demandent de les aider, notamment la France avec son écosystème porté par des Veolia ou des Suez. Il faut chasser en meute, nous y sommes parvenus sur de grands programmes comme Airbus, Galileo, Erasmus… Il y aurait tant d’autres visions extraordinaires si nous ne subissions pas une fiscalité idiote. J’avais 30 concurrents avec Radiall, ils sont tous partis à cause de l’ISF, il nous faut une politique qui pousse les entrepreneurs à rester, les motiver pour qu’ils investissent et qu’ils embauchent en France.

Propos recueillis par Isabelle AUZIAS (Tribune Côte d’Azur) pour RésoHebdoÉco