God save the boss...

L'arrivée du président du Medef pour l'inauguration de la toute première REF de l'histoire sur God save the queen des Sex Pistols, vous en avez rêvé, Geoffroy Roux de Bézieux l'a fait...
L'arrivée du président du Medef pour l'inauguration de la toute première REF de l'histoire sur God save the queen des Sex Pistols, vous en avez rêvé, Geoffroy Roux de Bézieux l'a fait...

Un Medef punchy et punky pour cette université d’été transformée en REF -Rencontre des Entrepreneurs de France- pour le deuxième round de Geoffroy Roux de Bézieux. Et c’est le grand coup d’époussette sur le rendez-vous estival du patronat français rassemblé sous la bannière No(s) Futur(s).

Délicieuse symbolique que cette migration de Jouy-en-Josas et son campus pour yearlings de l’entreprenariat à l’hippodrome de Longchamp, où nos écuries régionales se sont rendues en masse pour cette édition 2019, première sous le nom de Rencontre des Entrepreneurs de France. Du patriotisme option mors aux dents, la cravache agile, l’éperon précis, un peu comme si les casaques jaunes avaient provoqué un changement d’allure et de ton dans les rangs patronaux. Sur la liste de départ, une affiche impressionnante. Une équipe ministérielle au galop de chasse, omniprésente, et quelques fringants outsiders un rien bobo qui font tout le charme de la capitale… Il faut dire que la thématique 2019 se porte extra-large. Pêle-mêle dans l’autostart, des réflexions, débats et idées sur le climat, les inégalités de tous poils et de toutes robes, les conflits, le capitalisme de demain. Pour la vieille garde, le changement est un tantinet désorientant : nouveau concept, nouveau format, cette REF serait plutôt rafraîchissante.

Punk’s not dead

Si le mouvement punk se complaît dans la révolte et l’anarchie, nos représentants patronaux auront préféré, sans distorsion aucune, parler de révolution. L’arrivée du président du Medef pour l’inauguration de la toute première REF de l’histoire sur «God save the queen» des Sex Pistols, vous en avez rêvé, Geoffroy Roux de Bézieux l’a fait, prenant certains anciens de court. Nul doute, un vent nouveau souffle sur la grand-messe patronale à l’heure de ses 21 ans, millésime d’émancipation, pour un Medef décomplexé, sans cravate ni tabou, même après la dérobade de Marion Maréchal qui ne sera finalement pas venue papoter populisme. Et pas besoin de sensationnel pour remplir l’affiche. Morceaux choisis, en préambule, par le président Roux de Bézieux : de la place des démocraties libérales dans le monde au large spectre du changement climatique, il s’agira de confronter opinions et propositions pour les 5 500 participants réunis sur deux jours. «Avec la conviction que les solutions sont dans nos mains et dans nos cerveaux d’entrepreneurs», assène le fougueux président, qui prône l’exemple en valeur absolue : en clôture de cette REF de référence, une petite centaine d’entreprises, mobilisées par le Medef depuis dix-huit mois, sont venues déposer leur bilan, forcément positif, quant à leurs engagements pérennes en faveur du climat. «Les politiques  nous promettent la neutralité carbone pour 2050. On peut y croire ou pas, mais nos adhérents ont pris des engagements, concrets, quantifiables, vérifiables. (…) Et contrairement aux promesses électorales, ces engagements seront tenus.» C’est donc cela, le nouvel entrepreneur, syndiqué ou pas : un savant cocktail de liberté et de responsabilité, pour faire tomber les barrières de l’inégalité.

Soif de changement…

«On ne guérit pas les plaies en les léchant avec une langue de bois.» Une citation empruntée à Valéry Giscard d’Estaing, par Geoffroy Roux de Bézieux, pour étancher une soif de changement qui depuis 1974 à toujours bien du mal à s’apaiser. Tenir le cap de sa politique en faveur des entreprises : la supplique du Medef au président Macron, à l’heure où le grand défi patronal se résume en un principe, réduire les inégalités sous peine de trop peser sur l’économie. La nouvelle mission des entreprises qui ne devront plus, désormais «se replier dans un entre-soi confortable.» Avis à celles et ceux qui prendraient cette REF pour une foire au networking et non pas pour cette cousinade géante annuelle où se confrontent réflexions et ambitions alors que le monde économique s’embrase façon Amazonie ou Gilets jaunes… Au fond, derrière tout ça, c’est l’idée libérale qui est profondément remise en cause par tous et de tous les côtés. L’idée libérale au sens originel du terme, c’est-à-dire la conviction que la liberté, et particulièrement la liberté d’entreprendre, est créatrice à la fois d’épanouissement pour les individus mais aussi de progrès collectif. L’actu, c’est aussi le Brexit, pressenti l’an passé à Jouy-en-Josas, presque digéré à Longchamp, et Geoffroy Roux de Bézieux se veut ferme : «on ne peut pas laisser l’Angleterre être en dehors de l’Union et avoir les avantages de l’Union, en particulier dans les services financiers, mais pas que…» Une grand-messe où la baisse des charges n’est pas érigée en sainte patronne, ça aussi, c’est du tout neuf. Et c’est assumé. Quand bien même, il faudra faire bouger les lignes, «car l’État n’a plus le monopole de l’intérêt général. Au même titre que les syndicats de salariés, que les ONG, les entrepreneurs sont dépositaires d’une partie du bien commun.» À 97 %, les «Medefiens» ont compris et adoubé le message d’une grande réforme, profonde, sincère, un rien provocante. Passer d’une posture de combat à une fabrique de propositions, c’est l’ambition de ce président new age qui étonne et détone dans la galaxie de la croissance responsable. «Nous sommes là pour réinventer le modèle de l’économie de marché.» La question de fond, à répercuter sur toutes les autres thématiques ? Doit-on remettre le principe du libéralisme en cause ? Et la réponse ne peut être que nuancée. «Il y a un an, je vous disais que des sujets brûlants surgiraient partout, en France et dans le monde», rappelle Geoffroy Roux de Bézieux. Si l’on promet des débats sans langue de bois, l’option provoc’ est somme toute légère, tant politiques et capitaines d’industrie ont adopté la méthode Macron consistant à faire fi des partis et chapelles en se revendiquant constructifs plutôt qu’aigris.

Sortir de la zone de confort

Et le changement ne concerne pas que la forme : surprise, pour les 5 000 participants, ni clim’ ni bouteilles d’eau en plastique, mais la promesse d’un bilan carbone final, extérieur et postérieur à l’événement, pour ne rien coûter à la planète. Autre sujet «hautement inflammable», les inégalités dans une phase de mondialisation accélérée. Si «les inégalités sont nécessaires pour faire émerger les talents», point trop n’en faudra, surtout dans une société mature où les classes populaires trinquent plus que de raison. «Il faut le dire, parfois la prospérité n’a pas toujours été justement partagée, c’est un phénomène mondial qui a pris une résonance particulière en France avec les gilets jaunes, sous la forme d’une violence un peu paradoxale dans le pays occidental qui redistribue le plus, où les inégalités sont les plus faibles et les plus stables.» La solution ? L’entreprise, pour sûr. «En France, l’ascenseur social -pas plus que l’escalier- ne fonctionne, il faut six générations pour qu’un fils d’ouvrier change de catégorie sociale, et c’est ça, le véritable scandale français.» Et ça n’est pas la géopolitique qui éteindra l’incendie. Pour le président du Medef, le côté inflammable des relations entre Chine et USA ne tient pas à la personnalité marquée de leurs dirigeants, mais bien à une guerre froide économique qui se gagne ou se perd désormais à découvert. Dans ce contexte, les tactiques évoluent : ainsi le Medef millésime 2019 soutient-il la taxation sur le CA des GAFA, «un signal politique pour une concurrence stimulée par l’innovation.»

L’épine de la retraite

«Je suis vraiment convaincu que les Français sont intelligents, qu’ils ont compris que dans un système basé à 100 % sur la répartition, avec le vieillissement de la population, il faudra travailler plus. Les sondages montrent qu’ils sont prêts à faire l’effort. Mais sous conditions : d’abord que cet effort soit justement réparti entre le public et le privé, régimes spéciaux compris. Et que nous, entrepreneurs, fassions aussi un véritable effort pour conserver nos salariés au-delà des 60 ans. Là-encore, le Medef fera des propositions.» Jusqu’à la veille de cette REF19, le syndicat patronal aura soutenu la vision gouvernementale dictée par Jean-Paul Delevoye, «nous soutenions globalement la réforme.» Mais la volte-face présidentielle du 27 août, avec une préférence affichée pour une hausse de la durée des cotisations aura laissé un goût amer. «Emmanuel Macron a réaffirmé l’objectif de rééquilibrer les régimes d’ici 2025. Même en appliquant la réforme de 2015 sur la durée de cotisations, une accélération sur cinq ans ne rapporterait que 5Mds€, pour un déficit compris entre 9 et 12Mds€ en 2025… À moins d’aller au-delà des 43 ans de cotisation, on n’y arrivera pas. Mais faire travailler jusqu’à 70 ans les plus diplômés, est-ce la bonne solution ? Je ne le crois pas.» Et d’avancer la voie du compromis entre l’âge et la durée de cotisations pour éviter l’impasse financière, pour retomber, finalement, aux préconisations de Jean-Paul Delevoye. Un pas en avant, un pas en arrière, visiblement le Medef ne souhaite pas entrer dans cette danse-là. «Je le redis sans polémique, avec calme et détermination, la seule logique de durée de cotisations ne suffira pas. Nous sommes prêts à prendre en compte les carrières longues, c’est juste et nécessaire, sur le principe d’un âge pivot. Nous resterons aussi attentifs à l’équité de la réforme, notamment dans l’utilisation des réserves, il ne faudrait pas que les régimes “fourmis” paient pour les régimes “cigales”. Moins poétiquement, pas question que les salariés du privé financent les retraites des fonctionnaires.» Avertissement devant ce régime universel appelé des vœux de l’État, «il ne faudrait pas encore une fois que la vertu ne soit pas récompensée.»

 

Prospectives économiques contrastées

 

Ce qui n’aura pas remis en cause un certain «courage» dans les réformes menées, si ce n’est l’ombre de la dépense publique, qui plane toujours sur le pays. «Et son corollaire, la dette. Une tradition -malheureusement- française, bien établie, depuis 1974.» Et les taux négatifs ou la relative bonne santé de l’économie française ne doivent pas être considérés comme des sursis. «Un sursis jusqu’à quand ? Que se passera-t-il si nous entrons en récession ?» Un sujet abordé par le conseil exécutif du Medef en introduction à la REF19, dans une ambiance «contrastée» suivant les secteurs d’activité évoqués. «Les difficultés sont devant nous, et ces 57 % de la richesse nationale qui partent dans la dépense publique nous interdisent à nous, entrepreneurs, une fiscalité compétitive. Pour autant, nous abordons cette rentrée d’une manière constructive et optimiste. Conscients de nos devoirs et de nos responsabilités. À chaque fois que les pouvoirs publics nous font confiance, nous répondons présents. Entre le 1er janvier 2015 (début du pacte de compétitivité/baisse des charges : ndlr) et le 30 juin 2019, les entreprises françaises privées ont créé 936 000 emplois.» Fierté et applaudissements dans les tribunes de Longchamp pour ce finish patriote et ambitieux.

 

Par Isabelle Auzias, Tribune Côte d’Azur, pour Réso Hebdo Eco

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