Écologie

«Sobriété numérique» : l’obsolescence des équipements directement mise en cause

Inciter à la «Sobriété numérique», comme le prévoit la future loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN), qui arrive en seconde lecture au Sénat, début novembre, est tout à fait louable. Mais pour réduire l’empreinte carbone, il ne suffit pas de limiter nos usages. Il faut conserver les équipements le plus longtemps possible, leur donner une chance de seconde vie. Car c’est leur fabrication qui dégrade le plus la planète.

Après que le Sénat a rédigé une proposition de loi sur la question, adoptée par l’Assemblée nationale le 11 juin dernier, l’expression «Sobriété numérique» est entrée dans la réglementation. La nouvelle loi REEN (Réduire l’empreinte environnementale du numérique) traduit l’engagement du pays à réduire l'impact environnemental du numérique en limitant ses usages. Le point nouveau est qu’il n’est plus seulement question de freiner la consommation d’énergie, mais de restreindre l’expansion du parc de systèmes informatiques et de terminaux, dont les smartphones. En clair, il faut les renouveler moins souvent, allonger leur durée de vie, dénoncer leur obsolescence. Or, beaucoup de technologies et d’objets connectés sont promus et vendus au nom de la surveillance et protection de l’environnement. Donc, attention aux effets pervers - alertent les experts.

La France serait le premier pays à légiférer sur ce point : il s’agit «d’orienter le comportement de tous les acteurs du numérique, qu’il s’agisse des consommateurs, des professionnels du secteur ou encore des acteurs publics, afin de garantir le développement en France d’un numérique sobre, responsable et écologiquement vertueux.» L’obsolescence trop rapide des smartphones (moins de trois ans) est particulièrement visée. Une incitation fiscale favorisera les équipements recyclés, d’occasion.

«Faire preuve de pragmatisme technologique»

«Il est grand temps de prendre en compte les impacts élevés et fortement croissants du numérique sur les émissions de CO2, ainsi que l'épuisement des ressources non-renouvelables et ses corollaires de pollution locale et de dégradation de la biodiversité», constate Gilles Genin, membre de l’ONG eG4U au sein de l’Institut européen de normalisation ETSI (Sophia-Antipolis). «La seule façon d'agir vite, c'est de faire sobre et de faire preuve de pragmatisme technologique. Il faut utiliser au mieux tout l'arsenal des technologies qui sont à notre disposition, des plus récentes aux plus anciennes, dès lors qu'elles sont pertinentes.»

Selon diverses estimations, la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre en France serait de 2 % à 4 %. En comparaison, la part du transport est beaucoup plus élevée : 4,7 % et celle de l’agriculture culminerait à 19 %. Le souci épinglé par les législateurs est que la part du numérique va fortement augmenter : + 60 % d'ici à 2040, ce qui porterait sa part à 6,7 % des émissions totales en France.

Une grande part, sinon la plus grande, des émissions de gaz à effet de serre provient des terminaux : smartphones, ordinateurs personnels, consoles de jeux, enceintes connectées, écrans vidéo (dont la taille va continuer de grandir).

Le point crucial récemment mesuré est que la consommation énergétique due aux usages n’est pas la principale. Celle qui domine est celle dépensée pour la fabrication, y compris l’extraction et l’affinage de matériaux rares entrant dans leur composition (cobalt, germanium, lithium, platinoïdes, scandium, samarium…). Selon The Shift Project, laboratoires d’idées, dans les pays développés comme la France, cette phase de fabrication représenterait 60 à 70 % de la consommation d’énergie sur l’ensemble du cycle de vie des matériels numériques.

Les datacentres très énergivores

La loi vise également les datacentres, considérés comme très énergivores. En France, ils représenteraient 14 % des émissions de gaz à effet de serre et un tiers de la consommation d’énergie du secteur numérique. Certes, la tendance est d’utiliser une énergie décarbonée (photovoltaïque, solaire, hydraulique…). Les parlementaires ont mis en avant l’énergie décarbonée d’origine nucléaire, ce qui peut «inciter à l'installation de data centers en France», puisque «l’hébergement des données françaises est largement délocalisé.»

À compter de 2022, avec le déploiement de la 5G, les datacentres seront soumis à une taxe sur leur consommation d’énergie.

Les réseaux, quant à eux, produiraient 5 % des émissions de gaz à effet de serre du numérique, chiffre incluant la consommation énergétique globale, dont celle utilisée pour la fabrication des équipements (routeurs, émetteurs-récepteurs, etc.).

Enfin, les objets connectés vont également connaître une très forte expansion avec des dizaines de milliards d’équipements.

Au bilan, cette proposition de loi REEN, qui sera examinée par les sénateurs, en seconde lecture, le 2 novembre prochain, vise à «renforcer la filière des matériels reconditionnés et réduire l'obsolescence logicielle.» Et elle incite à un travail de pédagogie. Lui aussi salutaire.

Pierre MANGIN