Le spectre de la déflation dans la zone euro

Le spectre de la déflation dans la zone euro

Pour la première fois depuis 2016, le taux d’inflation annuel de la zone euro a été négatif au mois d’août, ce qui n’a pas manqué de faire renaître la crainte d’une déflation…

Selon l’institut Eurostat, le taux d’inflation annuel de la zone euro s’est établi à -0,2 % en août 2020, alors qu’il atteignait péniblement 1,0 % à la même période en 2019. Dans le détail, les taux annuels d’inflation les plus faibles ont été observés à Chypre (-2,9 %) et en Grèce (-2,3 %), tandis que les plus élevés se trouvent en Slovaquie (+1,4 %) et en Autriche (+1,4 %). Seuls quelques pays de l’Est de l’UE, non membres de la zone euro, connaissent des taux plus élevés comme la Hongrie (+4,0 %) ou la Pologne (+3,7 %).

Bref, les prix sont en berne dans presque tous les pays européens, ce qui n’est pas sans rappeler la période fin 2014-début 2016, durant laquelle le taux d’inflation moyen de la zone euro restait désespérément accroché à la barre du zéro, malgré tous les efforts de la Banque centrale. Mais pour l’heure, à court terme, l’explication est d’abord à rechercher du côté de la baisse de la TVA allemande, de l’appréciation de l’euro face au dollar et de la baisse des cours du pétrole.

Le danger de la déflation

Dès la fin de l’année 2018, le taux d’inflation de la zone euro a connu une tendance baissière, avant de plonger en territoire négatif ce mois d’août. Si ce taux devait rester négatif plusieurs mois de suite, une spirale déflationniste risquerait de se mettre en place, c’est-à-dire une baisse généralisée et autoentretenue des prix, selon la séquence suivante : la baisse du niveau général des prix entraîne une hausse des taux d’intérêt réels ; d’où une hausse de la valeur réelle des dettes, qui débouche sur une baisse de l’investissement et une compression des salaires ; cela réduit d’autant la demande anticipée par les entreprises et conduit à de nouvelles baisses de prix, qui poussent les ménages à reporter leurs achats et leurs investissements, réduisant encore plus la demande, etc.

Le Japon est d’ailleurs devenu un cas d’école d’une déflation larvée, qui dure en fait depuis l’éclatement de la bulle spéculative boursière et immobilière de 1991. Mais la zone euro n’en est pas encore là, ne serait-ce qu’en raison d’indicateurs économiques mieux orientés comme le taux d’endettement total (public et privé), qui s’élevait à 200 % dans la zone euro contre 360 % au Japon ! Quoi qu’il en soit, la crise liée à la Covid-19 aura renforcé les pressions déflationnistes dans la zone euro.

L’échec des politiques monétaires et budgétaires

S’il est vrai que la baisse des prix peut provenir, notamment, de la concurrence internationale, d’une hausse des gains de productivité (peu visible à l’heure actuelle) ou d’une hausse de l’épargne de précaution en raison des incertitudes (risque réel actuellement), elle peut aussi résulter des politiques économiques menées par les gouvernements. La politique d’austérité généralisée mise en place par quasiment tous les États membres de la zone euro à partir de 2011, afin de réduire dans la précipitation les déficits budgétaires, avait ainsi conduit à des coupes brutales dans les dépenses publiques, qui avaient réduit la demande globale et débouché sur une baisse inquiétante du niveau des prix.

Si pour lutter contre l’inflation, la Banque centrale dispose de l’outil du taux d’intérêt directeur, elle se retrouve démunie face à la déflation, dans la mesure où il n’est pas possible d’avoir de taux d’intérêt nominal négatif. La BCE préfère ainsi viser à moyen terme un taux d’inflation proche de 2 % et pas de 0 %, afin de disposer d’une marge de sécurité avant la déflation. Or, celle-ci se réduit comme peau de chagrin et c’est pourquoi, depuis quelques années, la Banque centrale est passée à une politique monétaire non conventionnelle, basée entre autres sur l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing), qui consiste pour elle à acheter toujours plus de titres de dettes contre création de monnaie. Avec pour seul succès – non avouable- d’avoir permis à des États en difficulté de ne pas faire défaut sur leur dette publique. Mais sur tout le reste, ce fut un échec patent : taux d’inflation très loin de sa cible, investissement productif en berne, croissance atone… Faut-il rappeler que la politique monétaire ne peut être utile qu’à la condition expresse d’actionner concomitamment des politiques budgétaires judicieuses ?

Hélas, la crise qui résulte de la Covid-19 va sans doute freiner les hausses salariales, ce qui entraînera une nouvelle baisse de l’inflation sous-jacente à court terme. En revanche, le vieillissement démographique, la possible relocalisation d’une partie de la production et le recul de la productivité liée aux normes sanitaires pourraient conduire à une hausse des prix à moyen terme… si tant est que l’économie ne s’enfonce pas d’ici là dans une dépression !

Raphaël DIDIER