«Le chef d’entreprise doit être transparent avec sa banque»

«Si l’entreprise rencontre des difficultés, il faut qu’elle le dise au plus vite sans rien cacher à son organisme bancaire», explique Bruno Deletré, le président du Comité des banques Grand Est de la Fédération bancaire française.
«Si l’entreprise rencontre des difficultés, il faut qu’elle le dise au plus vite sans rien cacher à son organisme bancaire», explique Bruno Deletré, le président du Comité des banques Grand Est de la Fédération bancaire française.

Dès le début de la crise sanitaire, l’univers bancaire s’est fortement mobilisé auprès de l’État et des différents organismes nationaux et régionaux pour faire face aux impacts économiques de cette situation inédite et épauler les entreprises. Report massif d’échéances de prêts, attribution des PGE (Prêts Garantis par l’État), analyse des situations particulières des sociétés, l’écosystème bancaire a affiché une mobilisation générale. À côté de cette implication dans les différents plans d’accompagnement, la crise sanitaire semble avoir confirmé le virage digital et numérique engagé par les organismes bancaires depuis quelques années. Le point avec Bruno Deletré, le président du Comité des banques Grand Est de la Fédération bancaire française.

Comment les banques du Grand Est se sont mobilisées à l’occasion de la crise sanitaire au niveau des entreprises. ?

Dès le lancement et l’annonce des premiers dispositifs étatiques, la mobilisation des organismes bancaires a été générale et surtout très rapide. L’objectif était de permettre à nos entreprises et aux professionnels de faire face aux impacts économiques de cette situation exceptionnelle et inédite. Depuis la mi-mars, la profession bancaire, grâce à la forte implication de tous ses collaborateurs et collaboratrices, partout sur tout notre territoire, s’est très fortement mobilisée, pour soutenir notre tissu économique régional.

Quelles ont été les premières mesures mises en œuvre ?

L’urgence première était de permettre aux entreprises de préserver au mieux leur trésorerie. Un report massif des échéances de prêts a été orchestré. L’ensemble des banques s’est aligné sur le sujet avec une grande réactivité. La deuxième mesure a été la mise en œuvre des Prêts Garantis par l’État créés par l’État, la Fédération Bancaire Française et la BPI (Banque publique d’investissement). Ils ont été déployés massivement par les banques pour apporter la trésorerie nécessaire aux entreprises.

Combien de PGE ont été accordés dans le Grand Est ?

Au début du mois de juin, ce sont près de 33 000 entreprises et professionnels qui ont été accompagnés par les banques avec le Prêt Garanti par l’État pour un montant de 5,7 milliards d’euros. La grande majorité de ces PGE ont été attribués, à près de 90 %, à des très petites entreprises (TPE).

Quels ont été les critères d’éligibilité aux PGE ?

Les critères étaient assez souples mais il est certain que nous n’allions pas rendre éligibles des sociétés qui étaient déjà fragiles avant la crise sanitaire. Il est nécessaire que l’entreprise soit viable et surtout qu’elle possède la capacité de rembourser ce prêt. Dans le Grand Est, le taux de refus au PGE a d’ailleurs été très faible de l’ordre de 3 %. Quand ce prêt ne peut être accordé, les banques orientent leurs clients vers la Banque de France et la Médiation du Crédit afin que d’autres solutions puissent être explorées ou d’autres dispositifs activés.

Certains parlent d’un potentiel effet boomerang au niveau des PGE, pensez-vous que cela soit possible ?

Il est certain que pour les entreprises qui ont été éligibles au PGE, cela va augmenter leur taux d’endettement. Les entreprises doivent intégrer cette donne et surtout anticiper les échéances du remboursement du prêt.

La situation est toujours plus que délicate, la crise sanitaire va laisser place à une véritable crise économique et sociale, quels sont les conseils que vous donneriez aux chefs d’entreprise au niveau de leur relation avec leurs banques ?

Je n’en donnerai qu’un seul : celui d’être transparent et surtout de ne pas hésiter à parler avec son banquier. Si l’entreprise rencontre des difficultés, il faut qu’elle le dise au plus vite sans rien cacher. Plus, elle est transparente, plus il sera possible de trouver des solutions adaptées. Il faut maintenir une relation de confiance. Pour une banque, chaque client, entreprises ou particuliers, est un cas unique.

Quel a été l’impact de cette crise sanitaire sur l’écosystème bancaire ?

Une banque est une entreprise comme une autre, nous avons dû nous adapter rapidement pour tout mettre en œuvre au niveau des gestes barrières et des mesures sanitaires pour préserver la santé de nos collaborateurs. Les banques sont restées ouvertes, avec naturellement plusieurs adaptations, pendant toute la durée du confinement, le développement du travail à distance et les activités digitales ont pris de plus en plus d’importance.

Cela confirme les changements aujourd’hui mis en œuvre par les banques au niveau du développement du digital et du numérique ?

Le virage du numérique, du digital, du développement des services en ligne, est aujourd’hui une réalité au sein des organismes bancaires. La crise sanitaire a confirmé que cette évolution était nécessaire, indispensable et vitale pour nos métiers. Elle a accéléré le développement de la banque à distance mais sans oublier l’importance de la relation humaine et du contact physique. Cela demeure indispensable pour traiter des sujets complexes.

Certaines études mettent en avant (notamment celle du cabinet McKinsey) l’arrivée d’années difficiles pour les banques européennes du fait de la récession économique annoncée (- 11 % du PIB en France). Comment le secteur va-t-il faire face ?

Depuis 2008 et l’impact de la crise de cette période, les fonds propres des banques ont largement augmenté pour affronter de nouveaux chocs. À l’instar de l’ensemble des secteurs d’activité, les banques sont dépendantes de l’activité économique. Leur propre activité est proportionnelle à la santé de leurs clients. Au niveau des entreprises, il est certain que dans les mois à venir, plusieurs présenteront des problèmes et des défauts de paiement. Cela aura un impact indéniable sur les comptes des banques dès la fin de cette année et plus probablement au début de l’année 2021.

Quelle est la différence entre cette crise sanitaire et celle de 2008 ?

En 2008, le détonateur était financier lié à de l’endettement, mais surtout de mauvais endettements. La crise sanitaire actuelle n’a rien à voir avec la finance et l’économie. C’est un agent complètement exogène que personne ne maîtrise qui a provoqué ce chamboulement. Pendant deux mois, le pays a été entièrement, ou quasiment, à l’arrêt. Cette crise aura des conséquences beaucoup plus profondes que celle de 2008.

La notion de «monde d’après» est souvent aujourd’hui mise en avant, pensez-vous que le «monde d’après» sera une réalité ?

Pendant des événements violents, comme celui que nous vivons, on a souvent tendance à augmenter l’impact changeant qu’ils peuvent provoquer. Des choses vont évoluer, des prises de conscience seront sans doute prises, mais je pense que le «monde d’après» ressemblera tout de même beaucoup au monde d’avant.

Emmanuel VARRIER

La FBF sur le pont

La Fédération bancaire française et ses comités territoriaux ont mis a la disposition des entrepreneurs et de ceux qui ceux qui les accompagnent un certain nombre d’outils pédagogiques pour comprendre ce que sont notamment les Prêts garantis par l’État et comment en bénéficier notamment une vidéo PGE et une infographie PGE. «Nous savons que certaines entreprises ne sont pas éligibles au PGE et il faut bien sûr les prendre en compte, examiner attentivement leur situation et envisager d’autres dispositifs qui seront plus adaptés, en mobilisant la médiation du crédit et des aides comme le recours au fonds de solidarité», assurait mi-mai Frédéric Oudéa, le président de la Fédération bancaire française. Plus d’infos sur le site : www.fbf.fr.