L’intercommunalité, angle mort des élections

L’organisation territoriale en France manque certes de clarté.
L’organisation territoriale en France manque certes de clarté.

Les 15 et 22 mars, les électeurs choisiront les conseils municipaux qui désigneront les maires. Mais ceux-ci devront partager leur pouvoir avec ceux des communes voisines, au sein de l’intercommunalité. Cet échelon, de plus en plus puissant, demeure largement absent des programmes électoraux.

David, qui aura 7 ans dans deux mois, connaît le nom de la commune où il vit, Mauron (Morbihan). Il sait aussi qu’il va à l’école à Concoret, dans le même département. Et plus loin, sur la route qui va vers Rennes, il y a Paimpont, «mais ce n’est pas dans la même communauté de communes», dit-il. C’est vrai. Si David sait tout cela, pourquoi une bonne partie des candidats aux élections municipales font-ils semblant de l’ignorer ? L’échelon intercommunal est celui où se décident de nombreuses politiques locales, le développement économique, l’aménagement de l’espace, le traitement des ordures ménagères, mais aussi l’essentiel des décisions concernant le logement, l’assainissement ou les transports. Or, si l’on se fie aux programmes des candidats aux élections municipales, c’est le maire qui déciderait de tout. «Élu, je construirai un nouveau palais des congrès, je décréterai la gratuité des transports publics, je mettrai fin au contrat avec ce prestataire», campent fièrement les candidats. Depuis vingt ans, la fiction continue. Le maire est toujours «l’élu préféré des Français», son mandat demeure «le plus épanouissant», comme le jurent les cumulards qui ont, dans leur vie politique, exercé de nombreuses fonctions successives ou simultanées.

Et pourtant, réforme après réforme, c’est au niveau de la communauté de communes, d’agglomération ou urbaine que se prennent les décisions les plus structurantes. La loi Notre de 2015 a regroupé les entités et encore accru les compétences de l’échelon intercommunal, un an après la loi Maptam qui créait les métropoles, ces super collectivités en charge des capitales régionales. Les 1 259 intercommunalités (au 1er janvier 2019) gèrent, ensemble, 50 milliards d’euros de budget, emploient 243 000 agents, reçoivent des ressources fiscales et peuvent même fixer le niveau de certains impôts, comme la taxe d’habitation ou la taxe foncière. Dès lors, pourquoi faudrait-il, élection après élection, entretenir l’illusion d’un maire tout puissant ?

Suffrage indirect

L’organisation territoriale manque certes de clarté. Depuis la fin du siècle dernier, plutôt que de procéder à la fusion de ses très nombreuses communes, la France a préféré les réunir dans des assemblées élues au suffrage indirect, dont les membres sont simplement «fléchés» sur les listes présentées aux électeurs le jour du vote. La désignation des élus intercommunaux ne respecte pas le principe démocratique élémentaire «un homme, une voix.» Les petites communes disposent d’un poids proportionnellement plus important que les grandes. Ainsi, dans la Métropole européenne de Lille, qui compte 90 communes, le maire de Warneton, 239 habitants, dispose de la même voix qu’un conseiller élu à Lille, qui représente 10 400 habitants. Vingt ans après la loi Chevènement de 1999, qui a installé les structures intercommunales dans le paysage, leur désignation au suffrage universel direct n’est toujours pas décidée, sauf, depuis cette année, dans la métropole de Lyon.

La vie politique locale s’en ressent. Rares sont les mouvements politiques qui proposent, à l’échelle d’une structure intercommunale, un programme déclinable par commune. Cette mauvaise image de l’intercommunalité, passant pour une instance opaque agissant dans l’ombre, finit par irriter l’Assemblée des communautés de France (AdCF) qui rassemble un millier de structures, dont 235 agglomérations. «Dans une intercommunalité, ce sont les maires, ensemble, qui décident», tient à préciser Nicolas Portier, délégué général. Selon lui, les diverses communautés ont, en dépit des apparences, gagné en visibilité ces dernières années : «Les services rendus se voient de plus en plus, notamment en milieu rural, au centre intercommunal d’action sociale, dans les activités périscolaires, par le portage de repas aux personnes âgées, au stade, sur les véhicules qui ramassent les poubelles.»

En revanche, l’intercommunalité souffre d’un «manque d’intelligibilité», admet-il. Les administrés, même s’ils connaissent cette instance, la confondent parfois avec un pourvoyeur de services, voire avec une entreprise privée. Au sein de l’assemblée intercommunale, les débats ne sont volontairement pas politisés, surtout lorsque le maire de la ville-centre doit composer avec des communes périphériques qui ne sont pas du même bord. Or, cette culture du compromis n’est pas vraiment compatible avec les effets de manche de la campagne électorale. Peut-être les élus consentiront-ils un jour à expliquer à leurs électeurs la complexité du fonctionnement territorial, mais il n’est pas certain que cela se produise avant que le jeune David soit en âge de voter…

Olivier RAZEMON